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mardi, 29 avril 2014 00:00

Le Mouvement des Cheveux Naturels

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A travers le monde entier, la nouvelle tendance est aux cheveux naturels pour les femmes africaines.  Ceci est vrai en Afrique, dans les Caraïbes, en Europe, en Amérique du sud et du nord.

Aux Etats-Unis, par exemple, le pourcentage de femmes noires qui n’altèrent pas leurs cheveux mais les laissent dans leur état naturel, est passé de 26 à 36% entre 2006 et  2011. Conséquence inévitable, la vente de produits de défrisage et autre, et d’accessoires capillaires a baissé de 17% entre 2006 et 2011 (Black Women Embrace Natural Hair. Lewis, Brionna. Sentinel [Los Angeles, Calif] 11 July 2013: D.5.).  Plusieurs figures publiques et populaires, telles que l’actrice africaine américaine Viola Davis qui défraya la chronique lorsqu’elle se présenta à la Cérémonie des Oscars, en 2012, avec ses cheveux courts et naturels, ou bien encore les artistes Jill Scott et Solange, ont rejoint, et ce-faisant renforcé, ce mouvement des cheveux naturels. 

Ce-dernier n’a cependant pas encore été analysé ainsi qu’il le mérite, probablement parce qu’il s’agit d’un phénomène relativement récent. Certains l’attribuent, au moins en partie, aux dommages causés par les produits chimiques auxquels les Africaines ont recours afin de changer leur apparence capillaire. Les pertes de cheveux et les cheveux fragilisés par des produits chimiques corrosifs, en particulier, sont un sérieux et récurrent problème. A cela, il faut ajouter les sérieuses contraintes quotidiennes, tels qu’éviter de se faire mouiller les cheveux, par exemple, afin d’éviter que le naturel ne revienne au galop, en tout cas plus tôt que prévu.

Ceci dit, s’arrêter à cette cause physiologique serait une grave erreur, et reviendrait à ignorer la haute signification symbolique des cheveux et des coiffures. Après tout, ces Africaines dont les cheveux tombent ou sont sérieusement endommagés par des produits chimiques pourraient avoir recours à des perruques ou des mèches, mais elles ne le font pas parce qu’elles ont, en fait, choisi de garder leurs cheveux tels quels.

Cheveux, Sociétés, et Cultures

Afin de bien saisir la portée de ce mouvement des cheveux naturels, il est impératif de prendre conscience de l’enjeu des cheveux et des coiffures dans les diverses cultures et sociétés créées par les humains. Ces-derniers, comme tous les mammifères, ont des poils sur le corps, avec des densités variant en fonction des parties concernées. Contrairement à d’autres mammifères, c’est sur leur tête que les humains ont la plus grande concentration de poils. Les poils changent d’apparence en fonction du nombre et de la forme des follicules qui sont présents sur notre tête, de même qu’en fonction de la structure des protéines qui composent les poils. De larges follicules, par exemple, produisent une masse importante de cheveux. Ils changent également de couleur en fonction de la présence ou l’absence de mélanine. Des cheveux clairs, par exemple, sont déficients en mélanine. En fin de compte, les cheveux sont un “accessoire biologique” qui changent en fonction des individus, et qui changent avec l’âge, l’état de santé, les gènes, etc.  Les cheveux peuvent tomber complètement sans qu’un individu en souffre autre mesure (Firth, 1973, p. 263). 

Peut-être est-ce parce que les cheveux se prêtent à une grande manipulation que les humains les utilisent pour les investir de sens et les utiliser comme marqueurs de différentiation sociale, et plus récemment, raciale. 

En effet, et ainsi que le résume fort bien l’anthropologue Firth (1973, p. 271), les cheveux et les coiffures fonctionnent comme un important symbole d’identité sociale, culturelle, et personnelle: “Dans toutes les cultures, il semble bien, les cheveux sont dotés d’une signification sociale et personnelle. Il existe suffisamment de preuves dans le monde entier que les styles de coiffure sont utilisés pour indiquer des différences sociales en fonction de l’âge, du sexe, du statut marital, et autres marqueurs de situations critiques. Ce qui est particulièrement important c’est que souvent ces styles ne sont pas simplement une affaire de modulations esthétiques ou de préférences individuelles; ils sont en réalité régis par des conventions profondes, soumis à l’approbation sociale et utilisés comme instruments d’expression et de contrôle social.”  Prenons l’exemple de la Corée, entre mille autres, où pendant la Dynastie Ly, et plus particulièrement sous l’influence du Confucianisme, les cheveux étaient extrêmement importants, car les coiffures devaient indiquer et rappeler à chacun et chacune sa place dans une société profondément hiérarchisée. A cette époque, il était hors de question de se couper les cheveux. Un tel acte était perҫu comme une auto-mutilation portant préjudice aux parents auxquels les enfants étaient censés appartenir complètement. Les cheveux longs étaient donc un signe de piété filiale.  Les cheveux ne pouvaient cependant pas être libres, mais devaient être nattés chez les jeunes enfants (une natte pour les garҫons, et une ou deux nattes pour les filles).  Au moment du passage à l’âge adulte, les nattes se transformaient en chignon au-dessus de la tête pour les hommes et derrière le cou pour les femmes. Des cheveux laissés libres étaient automatiquement associés à des mœurs légères et une sexualité débridée –et étaient par conséquent très mal vus.  En Corée, les coiffures fonctionnaient donc comme symbole à la fois d’âge, de sexe, de moralité, et de piété filiale. Les différences de classe sociale s’exprimaient par le degré d’élaboration des chignons, et la délicatesse des épingles utilisées pour maintenir le chignon en place. Autant dire donc que les hommes et les femmes coréens n’avaient que peu de latitude par rapport à leurs cheveux et coiffures en raison de la symbolique sociale et culturelle profonde qui leur était attachée, et à laquelle ils étaient eux-mêmes très attachés. Lorsqu’au début du 20ième siècle, les Japonais commencèrent à faire pression sur la Corée afin qu’elle se “modernise”, le roi de Corée passa un décret ordonnant la coupe du chignon, et les membres de la cour royale et lui-même coupèrent leur chignon afin de montrer l’exemple au peuple. Une violente révolte s’ensuivit: certains membres de la cour furent tout simplement tués par le peuple, et le roi lui-même dut s’enfuir en Russie. C’est de là qu’il passa un autre décret annulant le premier visiblement mal-pensé! (Nelson, 1998).

La Corée n’est citée ici qu’à titre d’exemple. Encore une fois, rares ou inexistantes sont les sociétés qui n’attachent pas de signification particulière aux cheveux et aux coiffures, et qui ne prescrivent pas de conventions capillaires et stylistiques particulières. Les sociétés africaines ne font bien sûr pas exception. 

Dans la société Mendé, par exemple, l’on attend des femmes qu’elles aient une chevelure propre, brillante, bien entretenue, et coiffée de faҫon avantageuse. Une femme dont les cheveux sont en désordre est mal vue, et automatiquement perҫue comme une femme de mauvaise vie.  Les cheveux des hommes et des femmes doivent être impérativement noirs. Des cheveux marrons évoquent la poussière et la saleté et doivent être teints si nécessaire (Boone, p. 96).  

En outre, les femmes ne doivent pas couper leurs cheveux non plus. En effet, un volume important de cheveux est prisé comme non seulement un signe de beauté, mais aussi, ainsi que l’exprime fort bien Boone encore, une marque spirituelle profonde: “Une femme qui a de longs et épais cheveux, participe de la force vitale, de la capacité de se multiplier et de prospérer, d’un “pouce vert” pour produire des récoltes généreuses, et de nombreux enfants en bonne santé. La coiffure, par conséquent, encode une autre prière pour la vie, plus abondante” (p. 186).

Les Cheveux comme Site de Résistance

Etant donné que les cheveux et coiffures fonctionnent comme mode de contrôle social, l’on peut aussi imaginer sans peine que la résistance à l’ordre social passe facilement, sinon nécessairement, par un rejet des styles conventionnés. Ainsi donc, la faҫon dont l’on choisit de se coiffer, ce que l’on choisit de faire ou de ne pas faire à ses cheveux ne relève pas du hasard, mais reflète en dernière instance un choix politique.  Dans les sociétés occidentales où les cheveux longs ont été longtemps associés à la féminité, les coupes féminines courtes étaient souvent perҫues comme une révolte féministe contre le patriarcat, la revendication pour les femmes des privilèges réservés aux hommes (y compris la coiffure!), et parfois même, le rejet sexuel des hommes, c’est-a-dire, l’homosexualité (Firth, 1973, pp. 267 sqq)

Un exemple des cheveux et coiffures comme site de résistance qui nous concerne de plus près est la vogue des afros dans les années soixante. Les afros émergèrent dans le cadre du Black Power Movement aux Etats-Unis à la fin des années soixante et véhiculaient la double notion de fierté raciale et de solidarité pan-africaine.  Les afros se répandirent rapidement dans le monde noir. De toute évidence, l’afro représentait une remise en question de l’ordre social et de la hiérarchie raciale de l’époque. Alors que la vue d’afros incommodait ceux qui étaient opposés à cette remise en question, les cheveux défrisés étaient considérés par les adeptes du Black Power comme l’expression d’une inacceptable servilité raciale et émulation de la race blanche, et donc comme source de honte (Byrd & Tharps, 2001).

  

Qu’en est-il donc de la vogue des cheveux naturels aujourd’hui ? S’agit-il d’un phénomène analogue de résistance ?

Pour la suite de notre analyse: Lire Le Mouvement pour les Cheveux Naturels –  dans deux semaines! 

Références:

Byrd, Ayana  & Tharps, Lori L.. 2001. Hair Story. Untangling the roots of black hair in America. New York: St. Martin Press.

Boone, Sylvia Ardyn. 1986. Radiance from the Waters. Ideals of feminine beauty in Mende Art.New Haven: Yale University Press.

 

 

Lu 24067 fois Dernière modification le lundi, 01 septembre 2014 14:06