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Sunday, 30 November 2014 00:00

Origines et émergence de la langue guadeloupéenne

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Ama Mazama, Docteur en Linguistique (La Sorbonne Nouvelle), Professeur d’Etudes Africaines Américaines, Temple University, Per-aat

Le présent essai s'attachera à cerner les conditions dans lesquelles notre langue, le guadeloupéen, a émergé. Mon principal souci est de souligner l'apport de l'Afrique dans le guadeloupéen afin de contribuer à l'instauration d'un lien de continuité entre l'Afrique et la Guadeloupe. Ainsi que cela a été expliqué dans le chapitre précédent, une telle entreprise est nécessaire afin que nous puissions mettre un terme à nos errements et nous ancrer, de façon consciente, positive et déterminée, à la matrice culturelle africaine hors de laquelle il ne peut y avoir de salut véritable.

Classification du guadeloupéen

 II existe plusieurs critères à partir desquels classer une langue donnée, par exemple, la possession de certains traits linguistiques (considérations typologiques), la proximité géographique ou bien encore, la parenté historique (considérations génétiques). Une classification satisfaisante du guadeloupéen, et en fait de l'ensemble des langues caribéennes, continue cependant à se heurter à un certain nombre d'obstacles, essentiellement liés à l'ignorance des linguistes quant à l'exacte nature du processus ayant donné le jour à ces langues, processus encore appelé créolisation.

En effet, si le guadeloupéen est dit appartenir à la famille des langues créoles, il convient cependant d'admettre qu'il n'existe pas, à ce jour, de définition linguistique généralement acceptée d'une langue créole. Certains

tiennent la "simplicité" comme trait définitoire de telles langues, mais il s'agit là d'un critère bien relatif et souvent subjectif. D'autres encore tendent à classer les créoles des Caraïbes en "créole français," "créole anglais," "hollandais, etc., sous prétexte que ces créoles ont "hérité," semble-t-il/ du lexique d'une langue indo-européenne. L'on remarquera cependant que le recours au lexique, le domaine le plus vulnérable de la langue, comme critère de classification génétique, est plus que discutable. L'on a habituellement recours à la morphologie pour ce type de classification. Il n'est pas rare non plus d'utiliser le critère de la contiguïté géographique afin de distinguer entre "créoles atlantiques" et "créoles pacifiques" (Todd 1974). A ce titre, le guadeloupéen ferait partie des "créoles atlantiques." Ceci dit, quel que soit le mérite d'un tel regroupement, il ne nous fournit aucune explication quant à la genèse de la langue.

En réalité, le critère généralement invoqué afin de définir un créole est d'ordre sociologique, à savoir qu'il s'agit d'une langue qui émerge dans un contexte multilingue caractérisé par la non-intercompréhension afin de permettre la communication. Dans un premier temps, nous avons un pidgin, langue tierce utilisée par les groupes en présence. Par la suite, lorsque sous l'effet de pressions sociales le pidgin est investi émotionnellement par l'un des groupes, et qu'il assume des fonctions supplémentaires, il passé au stade de créole. Il est évident que cette notion de passage du pidgin au créole ne saurait renvoyer à une réalité homogène, puisque ce passage ne s'effectue pas nécessairement en même temps pour tous. En d'autres termes, ce qui est toujours un pidgin pour certains membres d'une communauté linguistique donnée est un créole pour d'autres, sans que l'on puisse pour autant en tirer quelque conclusion que ce soit au niveau linguistique.

Conditions socio-historiques de développement du guadeloupéen

Je me contenterai ici de rappeler les grandes lignes de ce développement, dans la mesure où j'ai traité de cette question de façon détaillée dans mon livre précédent sur le créole guadeloupéen (1991).

Le guadeloupéen se développa à partir du XVIIème siècle, au moment de la colonisation de la Guadeloupe par les Français. Cette colonisation mit en présence divers groupes linguistiques hétérogènes qui, sommés de "communiquer" afin de survivre ensemble tant bien que mal/ créèrent un ou des pidgins. D'un côté, il y avait des Européens, essentiellement français bien que ce label, à cette époque tout au moins, ne renvoyât pas à une réalité homogène ; de l'autre côté, il y avait des Africains, locuteurs de langues du groupe Niger-Congo (telles que le wolof, kikongo, fon, yoruba, twi, ewe, kimbundu, igbo, etc.). A côté de ces deux groupes, il y eut aussi, pendant une période relativement brève, des Karibs. Ceux-ci furent rapidement exterminés par les Français, et disparurent du paysage social colonial à la fin du XVIème siècle. Selon Peytraud (1973, p.133), en 1687, il ne restait plus que 43 d'entre eux. Si l'on se souvient qu'en 1635,rannée de l'invasion de la Guadeloupe par les Français, ils étaient entre 20 et 25 000, F on a la une première illustration de la violence qui caractérisa la colonisation de la Guadeloupe, et en fait des Amériques tout entières, par les Européens.

De cette violence, les Africains souffrirent profondément. Ils en faisaient l'expérience en Afrique même, au moment de leur capture, de leur mise en vente et de leur détention dans un fort dans l'attente du négrier qui devait les transporter à tout jamais loin de leur terra et des leurs, vers 1'incertitude la plus totale. Morenas (1828, p. 19) rapporte, par exemple, comment "La crainte d'être embarqué pour l'Amérique inspire généralement à tous les Africains une invincible horreur parce qu'ils se croient destinés à être mangés par les blancs."

La violence ne faisait qu'accroître pendant la traversée de l'Atlantique, lorsque gisant enchaînés les uns aux autres dans leurs propres excréments, entassés les uns sur les autres, privés de lumière et d'air frais, recevant en maigres quantités une nourriture plus ou moins avariée, de l'eau plus ou moins potable, battus sans merci, et en proie aux assauts sexuels de l'équipage blanc, en ce qui concerne les femmes, les Africains, hommes, femmes et enfants, étaient balancés aux requins lorsqu'ils tombaient malades ou que les vivres venaient à manquer. Cette traversée durait en moyenne deux mois, et l'on ne saurait s'étonner, étant donné les conditions dans lesquelles elle se déroulait et du traumatisme subi en Afrique même, du fort taux de mortalité parmi les Africains. On estime qu'environ un tiers d'entre eux succombaient.

Arrêtons-nous un instant ici afin d'observer que la mort n'était pas nécessairement, aux yeux des Africains, le pire des maux. Vivre, dans les conditions qui leur étaient faites, semblait à beaucoup bien moins supportable. Dans ce contexte, les Africains choisirent souvent de se révolter et/ou de se laisser mourir (une forme de révolte en soi). Frossard (1789, p. 283) nous en offre le témoignage suivant : s'étant révoltés mais ayant malheureusement échoué à s'assurer du contrôle du bateau, "la plupart des esclaves, blessés grièvement, offrant l'alternative ou d'une prompte mort, ou d'une convalescence très onéreuse au vaisseau, le capitaine ordonna de les jeter en mer. Ils écoutèrent l'arrêt de leur mort avec les démonstrations de la plus vive joie. Ils n'en retardèrent l'exécution que pour embrasser leurs parents et amis ; puis, la gaîté peinte sur le visage, regardant leurs bourreaux avec dédain, ils se jetèrent dans la mer, où ils trouvèrent un remède prompt à leurs maux."

Une fois arrivés à destination, l'enfer qui nous était imposé prenait la forme de la plantation ; des champs de canne s'étendant à l'infini et dans lesquels nous devions, pendant les sept ou huit années qu'il nous restait à vivre, sous pluie et soleil, de l'aube jusqu'à tard dans la nuit demeurer courbés, suant et saignant ; de la cabane infecte que nous partagions avec une douzaine d'autres; de la nourriture insuffisante en quantité comme en qualité pour soutenir notre vie; des humiliations et des tortures sans fin ni nom. Une fois encore, l'on peut peut-être mesurer l'étendue de nos souffrances en considérant le nombre élevé de ceux et celles qui y ont succombées. Selon Debien (1974, pp. 343-344), " Aux isles françaises les pertes étaient aussi considérables : plus de la moitié des esclaves décédaient avant la fin de leur acclimatement." La principale raison de ce nombre important de décès était les mauvais traitements infligés aux Africains (Frossard 1787, p. 138 ; Boyer-Peyreleau 1823-1825, p. 132). II faut en outre savoir que cet extraordinaire taux de mortalité n'était nullement compensé par les naissances, car ainsi que l'explique le même historien (Debien 1974, p. 359),

"Les grandes fatigues de la marche des captives vers les escales de traite/ celles, aussi profondes, de la traversée, leur dépaysement à leur arrivée/ rendaient souvent ces femmes stériles pendant plusieurs années." Par ailleurs/celles d'entre nous qui étaient encore capables de procréer, choisissaient souvent d'avorter afin d'épargner à nos enfants l'expérience de la servitude et du racisme ("Un point certain est le grand nombre des avortements chez les esclaves. Les témoignages abondent" (Debien 1974, p.365)), ou bien encore choisissaient de les faire périr, d'une façon ou d'une autre ("Quelquefois même, on voit des mères désespérées par les châtiments que la faiblesse de leur état occasionne, arracher leurs enfants du berceau pour les étouffer dans leurs bras, et les immoler avec une fureur mêlée de vengeance et de pitié, pour en priver les maîtres barbares" (Raynald 1774, p.157).

Dans ce contexte de dépopulation constante, les colons, mus par un souci de rentabilité immédiate, optèrent pour l'introduction constante et massive d'Africains afin de renouveler leur stock d'esclaves plutôt que d'en favoriser la reproduction naturelle, en améliorant par exemple leurs conditions de vie : "La population noire, nous explique Gaston Martin 1948, p.102), ne s'accroît que par importations ; et non par le jeu naturel des naissances qui balancent tout juste la mortalité." En fait, les colons n'encouragèrent que sporadiquement les femmes africaines à avoir des enfants, car ces derniers n'étaient, à leurs yeux, qu'un embarras : " Ils sont aussi improductifs que les vieux, ils ralentissent le travail des mères à qui au reste il faut donner une nourriture plus forte" (Debien 1974, p. 351).

Les implications d'une telle politique sont multiples, et je n'entends pas les considérer toutes ici. Ce qui retiendra plus particulièrement notre attention, outre le dépeuplement massif de l'Afrique pendant plusieurs siècles, c'est l'arrivée constante d'Africains et d'Africaines en Guadeloupe, jusque dans les années 1860. Ce qu'ils amènent et continuent d'amener en Guadeloupe à travers les ans, ce n'est pas simplement leur force de travail, tant convoitée par lès blancs, mais aussi et surtout, de mon point de vue, une façon d'être et de faire participant d'une vision du monde particulière.

Bien qu'il soit fréquemment avancé que les Africains, pour des raisons de sécurité ou autre, n'avaient pas le loisir de se regrouper par origine ethnique et "oubliaient" de ce fait leur culture, il convient de remarquer qu'une telle assertion est démentie par ce que l'histoire nous a laissé de témoignages sur la question. La reconstitution de groupes linguistiques et ethniques africains particuliers est amplement attestée pendant toute la période de l'esclavage, ainsi que je l'ai démontré ailleurs (Cérol 1991). Que F on me permette de résumer brièvement les faits : étant donné le fort taux de mortalité dont il a été fait mention plus haut, les colons cherchaient à limiter leurs pertes en Africains asservis. Il leur apparut rapidement que le regroupement des Africains par ethnie permettait à ces derniers de maintenir un sens de continuité sociale et culturelle, facilitant ce-faisant leur adaptation à leur nouvelle condition. Poyen de Sainte-Marie (1792), un planteur chevronné, ne saurait être plus clair à ce sujet. II recommandait, par exemple, aux nouveaux planteurs, de se "spécialiser" dans une ethnie donnée en donnant "la préférence à la nation qui a le mieux réussi" sur sa plantation (Sainte-Marie 1792, p.41)3; de confier les nouveaux venus à des Africains de même origine ethnique afin qu'ils ne soient pas trop dépaysés et isolés. En fait, la nécessité de prendre un soin tout particulier des nouveaux venus est une préoccupation constante de Sainte-Marie : "Mais il ne suffit pas, écrit-il, de soigner pendant deux années les nègres qui débarquent dAfrique ainsi que cela se pratique généralement, car on voit fréquemment des esclaves dépérir après cette période et mourir de la troisième à la quatrième année, tandis qu'ils eussent faits de beaux et bons esclaves si les soins qu'on en avait pris d'abord leur eussent été continués» (Sainte-Marie 1792, p.45).

D'une façon générale, les colons, par ailleurs imbus de préjugés racistes, professaient de bien connaître les qualités respectives des différents groupes ethniques africains. Aux dires de Peytraud (1897), par exemple, les Sénégalais et Wolofs avaient la réputation d'être belliqueux, difficiles à discipliner ; les Foules, Foulahs (Poules ou Foulards) de ne jamais s'adapter à l'esclavage; les Mandingues d'être robustes, dociles, les meilleurs de la Guinée ; les Bambaras d'être stupides, superstitieux, paresseux, voleurs de dindes et de moutons ; les Ibos d'être vindicatifs, suicidaires mais bons travailleurs ; les Congos d'être doux et bêtes ; les Angolas d'être robustes et adroits ; et les Mandingues d'être portés au cannibalisme et d'avoir les dents sciées. Les Fons, quant à eux, avaient des tendances suicidaires. Un tel inventaire, loin de refléter la dissolution d'identités ethniques africaines particulières, atteste plutôt, me semble-t-il, de leur persistance et de l'importance qui leur était accordée.

Ceci est corroboré en outre par divers témoignages qui tous indiquent •' Vanony-Fnsh (1985, p. 82) confirme que certains propriétaires "...avaient lors du choix d'un esclave des préférences très nettes pour certaines ethnies africaines."que les Africains avaient bien, en effet, le loisir de se regrouper par affinité ethnique. Labat (1742, p. 146), par exemple, rapporte s'être fait enseigner l'arada en 1698, la langue parlée par une partie des Africains asservis sur sa plantation, afin de comprendre ce qu'ils se disaient Ce qui est attesté par le Père Labat, et qui est de la plus haute importance, c'est que des Africains de même ethnie vivaient ensemble, et continuaient à parler leur langue maternelle entre eux. Mais même lorsqu'ils ne vivaient pas ensemble, sur la même habitation, les Africains de même origine ethnique restaient en étroit contact, ainsi que le rapporte Dutertre (1667-1671, p.492): "J'ai vu, déclare-t-il, un de nos Nègres tuer cinq ou six pièces de volatiles, qu'il accommodait à sa façon, et dépenser plus de trois pintes d'eau de vie, pour régaler cinq ou six esclaves de son pays qui l'étaient venu voir, et comme je le blâmai sa prodigalité, il me répondit qu'il avait autant fait cette dépense pour leur montrer qu'il était bien, et qu'il n était pas misérable comme tel et tel de leur pays (ce qui fait le sujet le plus ordinaire de leurs conversations) que pour faire paraître son affection." Le même auteur note encore (1667 571, p. 492) que "Les plus grandes réjouissances se font au baptême de leurs enfants, car pour lors ils invitent tous les Nègres de leur pays, ainsi que tous ceux de la Case, et ils vendraient plutôt tout ce qu'ils ont, qu'ils n'eussent que de l’eau de vie pour solenniser leur naissance." Les mariages donnaient également lieu à d'importantes réjouissances, et une fois de plus, mettaient en évidence la persistance de liens ethniques. A l'une de ces noces auxquelles le poète Léonard assista (1787, pp. 207-208), "Différentes nations de Noirs y parurent distinguées par leurs drapeaux. L'épousée, tenant les bouts de son tablier dans ses deux mains, était au milieu du cercle, et chaque femme se présentait devant elle pour danser. Les nations avaient chacune leurs danses particulières; la sienne se bornait à un petit mouvement de pied mesuré. Mais il lui fallait tenir tête pendant toute la journée aux danseuses qui venaient la provoquer : en se retirant, elles jetaient dans son tablier une pièce d'argent. 

Quelques-unes murmuraient une espèce d'épithalame, interrompu par les refrains du chœur ; d'autres battaient des mains en les approchant de leur visage ; d'autres, se courbant et dansant autour de la mariée, remuaient les hanches avec une agilité surprenante, et il y en avait qui, frappant deux calebasses 1' une contre Y autre, tournaient avec tant de rapidité sur elles mêmes, qu'au bout de quelques minutes, elles étaient trempées de sueur. Des nègres à la figure grotesque battaient sur des tambours et faisaient des éclats de rire à la vue des attitudes comiques des danseurs bouffons."

Cette dernière description de danses de toute évidence africaines renvoie, par-delà la rétention de pratiques culturelles particulières à une ethnie donnée, à la question de la part de l'Afrique d'une manière générale dans la vie des Africains en exil en Guadeloupe. Ainsi que je l'ai mentionné plus haut, (et je reviendrai sur ce point par la suite) ce rôle a toujours été minimisé sinon carrément nié. Selon Chaudenson (1979, pp. 54-55), par exemple, "... 1' esclave est, dès son entrée dans la société coloniale, engagé dans un processus très contraignant de déculturation (perte de sa langue et de sa culture d'origine) et d'acculturation (acquisition du créole et de sa nouvelle culture). " De ce processus très contraignant, nous ne trouvons guère de trace pourtant. En 1845, Dugoujon (1845, p.75), par exemple, se plaignit à mamtes reprises du comportement des Africains dans les lieux de culte chrétien, et d'une façon générale, du "manque d'orthodoxie" des pratiques catholiques en Guadeloupe : "Le crucifix, les statues de la Vierge, les images des saints ne sont pour eux (les Africains) que des fétiches. Ils ont conservé au sein du catholicisme toutes les pratiques païennes et mahométanes qu'ils ont apportées de lAfrique. N'est-ce pas un navrant spectacle de voir une foule d'hommes assiéger l'autel, et là, à côté d'un prêtre français, au moment le plus solennel du sacrifice, tour à tour se prosterner, élever les mains, étendre les bras, tracer des signes sur les pavés et les embrasser, prendre des postures de corps comme dans une mosquée ou une pagode?"

II est également clairement établi que les Africains, nés en Guadeloupe comme en Afrique, conservaient un nom africain, au XVIIIème comme au XIXème siècle (Debien 1974, pp.72-73 ; Fallope 1983, p.l8). D'autres pratiques sont communément signalées, tel l'usage d'huile de palme, la disposition de leurs cases ou bien encore la prédilection pour les ornements et autres parures.

Concernant ces derniers, Fallope (1982, p. 154) cite plus particulièrement les boucles d'oreilles et les bâtonnets glissés dans le lobe de l'oreille, qui selon elle, entrent dans le domaine de la parure dont le goût est particulièrement développé dans les populations africaines. Ce trait culturel se retrouve chez des esclaves créoles pour qui le port de boucles d'oreilles en or est plusieurs fois signalé, chez les hommes notamment. II convient de prendre conscience de ce que ces pratiques ne doivent pas être simplement perçues comme des "africanismes" ainsi que l'on a tendance à le faire, mais s'inscrivent dans une certaine représentation du monde qui se manifeste à plusieurs niveaux: dans le domaine esthétique, dans l'appréciation de la vie, à travers la célébration d'une naissance, ou d'un mariage - même dans les circonstances les plus difficiles, dans l'importance accordée au nom comme reflet de l'essence d'une personne donnée, dans l'observation de rituels entourant la mort, afin que le décédé puisse s'en aller en paix, et devenir un ancêtre bienfaisant, etc. Debien et Houdaille suggèrent (1964, p. 194), qu'en réalité, pendant la période de l'esclavage, "la vie africaine continue à être le cadre des gestes quotidiens des esclaves."

C'est dans ce contexte général que l'émergence du guadeloupéen doit être réanalysée. Un certain nombre de points méritent d'être signalés. Tout abord, les Africains ont continué à parler leur langue pendant toute la période de l'esclavage. Ceci signifie, par conséquent, 

1) que les langues africaines ont continué à jouer un rôle important dans la vie des Africains ; 

2) que le guadeloupéen fut adopté comme première langue, comme créole, par l'ensemble de la communauté africaine au XIXème siècle seulement, à la suite de r'nterruption de la traite européenne d'esclaves, suivie l'abolition de l'esclavage et de la dissolution des structures sociales ayant favorisé la rétention de langues africaines ; et 3) que ces mêmes langues africaines, dans la mesure où elles coexistaient avec le guadeloupéen ont été à même de l'influencer profondément. Dans mon ouvrage précédent sur le guadeloupéen, je m'étais attachée à identifier certaines de ces influences, telles que la postposition des déterminants nominaux :

gua. pat-là 1 wolof ndap-la "le vase"

gua. gason-an-mwen / kimbundu mono-a-mi "mon fils "

gua. moun-lasa / kim. muntu i/o "cette personne" 

ou bien encore les marqueurs d'aspect et de temps préposés au prédicat, en guadeloupéen comme dans les langues Niger-Congo :

gua. An ka travay / kimb. Eme nga mubanga " je travaille"

gua. Ou ka travay / kimb. Eye wa mubanga " tu travailles" 

gua. / ka travay / kimb. Eye wa mubanga "il travaille"

gua. Nou ka travay / kimb. Etu twa mubanga "nous travaillons" 

gua. Zot ka. travay / kimb. Enu nwa mubanga "vous travaillez"

gua. Yo ka travay / kimb. Ene a mubanga "ils travaillent."

A cela, l'on pourrait ajouter les constructions verbales sérielles, qui reposent sur une construction syntaxique particulière et ne sont attestées qu'en chinois et que dans les langues ouest-africaines. L'on distingue, à partir de critères sémantiques, plusieurs types de constructions sérielles. Ainsi des constructions sérielles datives :

gua. Achté'y ban mwen (ban : "donner" ; "pour")

yoruba Ra afun mi (fan : "donner" ; "pour") (Faraclas 1988) (les deux énoncés ont le même sens : " Achetez-le moi") ; 

ou bien encore des constructions sérielles comparatives :

gua. Chouval gwo pasé bourik (pasé : "plus... que" ; dépasser : le cheval est plus gros que Fane »)

ewe So lolo wu tedzi (wu : "plus... que " ; "dépasser " : "le cheval est plus gros que l'âne") (Faraclas 1988).

Citons une dernière caractéristique commune au guadeloupéen et à un grand nombre de langues africaines, la focalisation du prédicat par extraction et réduplication, à fin d'emphase :

gua. Se kouri i kouri Lapwent "II est allé en courant (et non en marchant) à Pointe-à-Pitre "

obolo Ilibi 1œ n-libi isi Legos "II est allé en courant (et non en marchant) à Lagos " (Faraclas 1988).

En fait, seule l'ignorance ou la mauvaise foi ont pu inspirer à Rafaël Confiant (1993, p. 130) les propos suivants : "Quant à l'origine africaine de la syntaxe du créole, écrit-il,, la plupart des linguistes sérieux ont déjà fait un sort à cette légende et Guy Hazael-Massieux explique de manière lumineuse que la présence africaine dans le parler antillais se manifeste moins par la présence de formes similaires à celles de telle ou telle langue africaine que par F absence justement d'un certain nombre de formes françaises en créole. 

L'africanité du créole est moins une addition qu'une soustraction, une présence en creux pourrait-on dire." En quoi la postposition de nommants, le recours à des morphèmes libres pour marquer l'aspect et le temps, ou bien encore des constructions sérielles et la focalisation du prédicat par extraction et réduplication représentent-elles une influence par défaut du français, plutôt qu'une continuité directe entre langues africaines et guadeloupéen demeure plus qu'obscur, et, en vérité, sans aucun fondement. 

Une telle position ne reflète rien d'autre que l'incapacité de Confiant comme d'Hazael-Massieux à accepter leurs origines africaines. Plutôt que de se définir positivement, comme Africains, ils préfèrent se définir négativement par rapport aux blancs ! Il s'agit là d'une véritable tragédie, sur laquelle je reviendrai plus bas. Pour l'heure, considérons de plus près le développement linguistique du guadeloupéen.

Développement linguistique : regard sur le lexique

 Je voudrais continuer l'exposé entrepris dans Une introduction au Créole Guadeloupéen (1991), en poursuivant l'étude du lexique (ou vocabulaire) du guadeloupéen. Ce dernier comprend trois composantes majeures : le fonds lexical hérité du français, le fonds lexical créé par la langue, et enfin, le fonds lexical africain. Ce sont ces deux dernières composantes qui retiendront tout particulièrement mon attention. Une analyse de la nature de la composante lexicale et sémantique africaine en particulier nous permettra de mieux cerner l'étendue de l'impact des langues africaines sur notre propre langue, c'est-à-dire, sur nous-mêmes, en fin compte.

Fonds lexical et sémantique africain

L'essentiel de mes recherches ayant porté jusqu'à présent sur les langues bantu, les langues africaines dont il sera principalement question dans cette étude sont le kikongo (abrégé kik.), le kimbundu (kim.), et umbundu (umb.). Ces langues furent sélectionnées en raison de leur distribution géographique (le long de côtes africaines), et/ou de leur nombre de locuteurs (en particulier le kikongo). Le lecteur peut également se poser la question de savoir pourquoi la famille des langues bantu plutôt que kwa, ou mandé, par exemple, a retenu mon attention. Cette prédilection pour les langues bantu est largement inspirée par ma conviction, que contrairement aux idées les plus répandues, l'Afrique centrale plutôt que, ou au moins tout autant que l'Afrique occidentale, a contribué au peuplement africain de la Guadeloupe.

Tout d'abord, la présence de Bantu est largement attestée pendant toute la période de l'esclavage. L'on se souviendra par exemple, qu'au XVIIème siècle (1656), la première révolte documentée d'Africains asservis en Guadeloupe, fut le fait d' "Angolas" (en collaboration avec des "Cap-Verts"). Au XVIIIème siècle, les trois études consacrées à la question de l'origine ethnique des Africains (Vanony-Frish 1985; Schnakenbourg 1973 et Debien § al. 1963), arrivèrent à la même conclusion : les "Congos" représentaient, numériquement parlant, la première ou la seconde composante africaine. 

Les Bantu étaient également présents tout au long du XIXème siècle (Fallope 1983, p. 20). En fait, ils formèrent le dernier contingent d'Africains à être introduits en Guadeloupe, entre 1857 et 1861, comme "engagés libres." L'importante présence bantu en Guadeloupe doit être imputée essentiellement au rôle de premier ordre joué par la contrebande en Guadeloupe. En effet, "négligés" par la France qui choisit de privilégier la Martinique mais surtout Saint-Domingue, les colons français installés en Guadeloupe n'avaient d'autre recours que de s'en remettre aux Anglais, mais surtout aux Hollandais afm de se ravitailler en Africains. Saint-Eustache, colonie hollandaise, qui jouait alors le rôle d'entrepôt, leur fournit une très importante source de ravitaillement (Schnakenbourg 1971, p. 26; Abénon 1975, p. 53). 

Il convient de savoir, à ce point, que les Bantu représentèrent entre un tiers et un quart des Africains déportés par les Hollandais aux XVIIème et XVIIIème siècles (Postma 1970, p. 184). Ce qui est suggéré ici, c'est que la composante bantu de la population africaine en Guadeloupe était plus importante que celle d'autres colonies françaises, où elle resta relativement réduite, en raison d'un schéma de peuplement différent. Ceci apparaît au niveau de la langue. L'on trouve, par exemple, dans les langues bantu de même qu'en guadeloupéen, un morphème a (avec différents allomorphes), utilisé afm d'exprimer différents liens sémantiques entre deux noms, par exemple, la possession (timoun-a'w) et la finalité (lenj-a dimanch). 

A l'inverse, ce morphème a n'existe pas en martiniquais ou en haïtien (ou alors, seulement dans le nord), où les noms sont simplement juxtaposés. Il me faut brièvement signaler à ce point mon désaccord concernant l'analyse réservée à ce morphème a par Ludwig et Poullet (1989). Ces derniers, à mon avis, sont complètement aveugles aux critères sémantiques qui gouvernent la distribution de a en Guadeloupéen, et n'y voient, à tort, qu'une séquelle plus ou moins archaïque en voie de disparition...

Considérations-méthodologiques

 L'une des principales difficultés auxquelles se heurte celui ou celle qui cherche à identifier les mots africains présents en guadeloupéen est très précisément l'absence de documents sur les langues concernées au moment du développement du guadeloupéen. Ce n'est qu'au XIXème siècle que sont parus les premiers dictionnaires bantu ; quant au guadeloupéen, ce n'est qu'en 1983 (Poullet et al.) que le premier inventaire lexical en a été publié. Nous n'avons par conséquent pas accès aux formes initiales, pas plus que nous ne savons comment et quand ces formes ont évolué, rendant, de ce fait même, toute entreprise de reconstruction historique plutôt hasardeuse.

 D'une façon générale, cependant, les changements que l'on peut observer entre les langues bantu et le guadeloupéen ne diffèrent en rien de ceux communément attestés en linguistique historique. Il s'agit de changements qui peuvent affecter la forme aussi bien que le sens. Les changements formels peuvent porter sur des segments ou des traits (par exemple : kik. baba " gua. ababa (prothèse) ; kik. bolokoto " gua. blokoto (syncope) ; kik. nkongolo " gua. kongoliyo (épenfhèse) ; kik. mdbula " gua. maboul (syncope) ; kik. kyu " gua. kyous (paragogue) ; kik. funa " gua. foufoun (réduplication partielle) ; alternance de liquides 1/r : kik. kalata " gua. irata ; changement de voyelle (morphologiquement motivé) : kim. pi/kik. " gua. pé ; alternance k/1, 1/k : kik. loli " gua. loki ; kik. kàko " gua. 'lo ; kik. ndende " gua. dendé (dénasalisation d'occlusives prénasalisées) ; kik. ngemo " gua. gyenm (palatalisation) ; etc.

 En ce qui concerne les changements sémantiques, il convient de garder à l'esprit que ceux-ci ne suivent aucun schéma régulier, et sont par conséquent totalement imprévisibles (Hoch 1986). Métaphores (au sens étroit) et métonymies sont les cas de figures les plus fréquents. Les métonymies posent sur une relation de contiguïté, contrairement aux métaphores. Un exemple de métaphore serait kik. musulongo "nom d'un groupe bakongo" >  gua. mousoulongo "sauvage". A V inverse, kik. bebek "morceau de viande" " gua. Bébélé " plat fait de fruit-à-pain et de morceaux de viande" ou bien encore kik. Makozi "amende payée au mari pour adulte" > gua. mako " cocu" sont des cas de métonymie..

Classification

 Onomatopées

Gua. po " bruit de chute" / kik. poo "bruit de chute"

Gua. to "bruit d'un coup sec" / kik. to "bruit d'un coup sec"

 Gua. ta " bruit d'un coup sec" /kik. ta " bruit semblable à un coup de pistolet, une bouteille que l'on ouvre, etc."

Gua. bo " bruit de chute"/ kik. bwo "bruit de chute"

Gua. pôk "bruit d'un coup sec" / kik. poka "bruit d'un coup de bâton"

Gua. blokoto "bruit de chute"/ kik. bolo1<oto "chute de quelque chose de dur"

Gua. kyous "avaler d'un coup" /kik. kyu "onomatopée désignant la déglutition"

Gua. chwa-chwa "bruit de la mer, des vagues" /kik. chya-chya

"onomatopée pour le bruit des vagues, le clapotage"

Idéophones

Gua. awa "interjection de négation, de mécontentement, de désaccord" kik. awa "interj. ou adv. de négation non ! certes non ! ah non !" ; kim awa "interjection pour exprimer l'ennui, le désaccord "

Gua. an-an "non, pas du tout" / kik. aa; an-an "interj. nég. non ! non

pas ! ah non ! certainement pas !"

Gua. bita-bita "simultanément, ensemble" / kik. bita-bita "«pêle mêle"

Gua. oo "interjection de surprise désagréable" / kik. oo " interjection négative mêlée de surprise"

Gua. kya-kya-kya "le rire, rire" / kik. kya-lçi/a-ki/a " onomatopée pour le rire, oh ! oh ! "

Morphèmes grammaticaux

Gua. îd. "lequel ?" / kik. n1d " quel, lequel ?"

Gua. ka " qu'est-ce que? qui (qu') est-ce qui?" / kik. Ka "qu'est-ce que?

qui (qu') est-ce qui ?"

Gua. ba " pour, donner"/ kim. ba " pour, donner"

Gua. a "relateur"/ kik. a " relateur" ; kim. a "relateur"

Adverbes et adjectifs d'intensité

Gua. pwélé ''beaucoup'Tkik. phwele " foule, nombre de, beaucoup le

Gua. bidim " énorme "/kik. bidi " abondance, excès, masse "

Gua. boul « beaucoup de "/kik. bulu-bulu " abondamment "

Environnement

 a) Faune

Gua. tak-tak " esp. poisson "/kik. taka «poisson de vase" ; kik. ntakataka «poisson»

Gua. kok " coq "/kik. kôko " coq "

Gua. zanba " éléphant, lourd'Tkik. nzamba "éléphai-it ," ; kim. Nzamba "éléphant "

Gua. kongoliyo " myriapode "/kik. nkongolo " myriapode " ; kim. Gongolo " myriapode"

Gua. kyakya " esp. petit poisson "/kik. kyala " poisson"

Gua. gyenbo/genbo " chauve-souris "/kik. ngembo " roussette, sorte de chauve-souris"

Gua. halbra "écrevisse à longues pinces "/kim. hala " écrevisses " Gua. Kyo " esp. oiseau "/kik. kyokyo " oiseau "

b) Flore

Gua. gonbo " gombo "/kik. ngombo " gombo"

Gua. dendé "noix de palmier "/kik. ndende " huile de palme " ; kim. Ndende "noix de palmier " ; umb. ondendi " huile de palme "

Gua. poto " esp. banane "/kik. mboto " banane verte "

Gua. baka " esp. bananier"/kik. mbakadi " esp. banane "

Gua. pwa-boukousou " pois boukousou "/kim. bukusu " variété de pois"

Gua. renbo " esp. banane "/kik. lembo "une banane"

Gua. malanga " esp. igname "/kik. malanga " igname "

Anatomie

a) Parties du corps

Gua. kàk " pénis "/kik koko " pénis "

Gua. bonda " derrière "/kik mbunda " derrière " ; kim. mbunda " derrière, anus "

Gua. foufoun "organes sexuels féminins"/kik. funi/funu " organes sexuels féminins "

Gua. koukoun/koun " clitoris, vagin "/kik. nkunu " côté, lèvre de vulve " ; kik. nkuna " derrière " ; kim. kiunu " croupe "

Gua. kal " pénis "/kik. bakala " mâle "

Gua. kôkàt " vagin, clitoris "/kik. kôkodi " clitoris "

Gua. makou t " poitrine "/kim. makutu " poitrine "

b) Caractéristiques particulières

Gua. bobo " plaie "/kik boobo " plaie "

Gua. kafou "borgne "/kik kafou-kafou " aveugle "/kik. kyafu " clignemei-it de roeil"

Gua. loli " qui louche "/kik. loki "borgne"

Gua. sékan " squelettique "/kik. seka " être mangé par les vers, être miné, consumé "

Gua. doum " ennui ; éléphantiasis "/kim. ndumu " signe qui annonce des ennuis, un mal " ; kik dumu-dumu "querelle"

Gua.foboka " déformé "/kik/oMa " être incrusté, bosselé "

Gua. Iota " mycose "/kik. loota " maladie de la peau qui s'écaille, dartres, etc. ; tâches claires, rouges sur la peau

Gua. akaba " mort "/kik nkaba " mourir "

Gua. pok " qui a les doigts recroquevillés ou engourdis "/kik. mpoko " partie d'un membre court, morceau court, longueur courte " ; kik. poka "être faible, chancelant, maigrir" ; kik. pookaa "se briser" ; kik. pooka " creux de la main "

Tempérament & Attitudes

Gua. koukya bourgeois "/kik kuka "être inviolable, sans reproche, correct, bienséant"

Gua. kankan " histoires, querelles "/kik. kwakwana " jaser " ; kik. kakana " se

quereller "

Gua. makrélé " moucharder "/kik. makela " calomnie "

Gua. lélé " mauvaise langue "/kik lela " mensonge, vain

bavardage "

Gua. langanné "être indiscret, curieux "/kik îanga " espionner, observer être à Fafrût de"

Gua. vikou " débauche, licence "/kik vuku " tentation, désir de tenter

quelqu'un " ; kik. vukutu " voluptueux, sensuel"

Gua. Iakakya " moulin à paroles "/kik. Iaka/lakya/laka " causer sans cesse, sans respirer"

Gua. maboul " fou "/kik. mabula-bula " radotage, délire "

Gua. ababa/baba " stupide, hébété, muet "/kik baba " qui est sourd-muet, bègue, sot, bête"

Gua. zoulou " maladroit, lourdaud "/kik. nzuluba/nzulumba " lourd,

pesant"

Gua. bébéto "faible, gâteux "/kik bébé " esprit borné, homme faible,

maladroit»

Gua. bèkèkè " bouche-bée, ébahi, en état de choc "/kik beke-beke "fragilité"

Gua. tek-tek " hésiter à avancer, osciller"/kik. tekede-tekede " marcher en chancelant "

Gua. lenbé " chagrin d' amour, langueur "/kik. lembe "mot qu'on criait autrefois pour provoquer la terreur et l'angoisse, parce qu'il exprimait qch. d'incompréhensible, de dangereux, un ensorcellement"

Gua. bozo " gaillard, pimpant, guilleret "/kik. mbozo " jeunesse"

Gua. agoulou " vorace "/kik. ngulu " porc, cochon, vorace, sale; " kim gulu " porc, cochon, vorace, sale " ; kim. ngulu " porc, indécent "

Gua. tenkentenk " s'entendre, d' accord "/kik. teke-teke " être bien proches, près, très intimes "

Gua. mousoulongo " sauvage "/kik. musulongo " nom d'un groupe ethnique ba-kongo, du duché de Songo, placé sous la dépendance du royaume Esi-Kongo"

Nom d'ethnies

Gua. kongo " Kongo, du Congo "/kik. kongo ft kongo "

Vie spirituelle

Gua. senmaka " monde des morts "/kik. maka " esprit, spectacle étoniiant, erreur d'optique, fantôme, revenant, spectre, chose merveilleuse, incroyable, inouïe phénomène "

Gua. kenbwa/hjenbwa " maléfice "/kik. kilembwa " charme "/kim. kilemba " maléfice, magie "

Gua. zonbî " zombie "/kim. nzumbi " revenant " ; kik nzambi " Dieu "

Gua. moka "' sorcellerie "/kik. moko " prêtre-médecin "

Gua. makanda " sorcier"/kik. makundu " sorcier"

Gua. gangann "ancêtrc'/kim. nganga " ancêtre, savant, charlatan " ; kik. nganga " savant, expert, devin "

Éléments de la vie quotidienne

 Nourriture

Gua. bébélé " plat fait de fmit-à-pain et de morceaux de viande "/kik. Bebele " morceau de viande "

Gua. didiko " petit-déjeuner "/kik. dika " être plein, rempli (estomac, sac) ; kik. dila " manger avec, se nourrir"

Gua. tchololô " fadeur, sans goût "/kik. nsololo " fadeur "

Gua. makayé " grignoter à longueur de journée "/kik. makaya " expression pour tout ce qu'on peut manger"

Habitat

Gua. makout " sac "/kik. kutu "étui, fourreau (de sabre) "

Gua. katoutouu " petite calebasse "/kik tutu " une petite calebasse qui sert ordinairement de poire à poudre, petite boîte " ; kim. katutu " petite boîte "

Gua. mokafa " lampe à pétrole "/kik. mooka " crépiter "Imoki " faire brûler"

Gua. houmba " large sac "/kim. humba " grand sac en cuir pour transporter des choses lourdes "

Gua. lolo " boutique "/kik. lo/loozo " boutique "

Gua. îélé "remuer"/kik. Ma "aller tantôt d'un côté , tantôt d'un autre,

bercer"

Gua. pak " abri pour animaux "/kik. mpaka " installation pour animaux "

Gua. Iak " appât/kik. laaka. " disparaître dans l'eau " ; kik. Iakama «être jeté loin, enfoncer sous l'eau"

Activités

a) Conflit                                                                  .

Gua. lèkètè "histoires, problèmes "/kik. kelekete " entêtement, refus de faire ce que veut quelqu'un, mauvaise volonté"

Gua. gyenm " féroce, prêt au combat " /kim. ngemo « féroce "

Gua. bakoulélé " vacarme, désordre "/kik. makelele « vacarme, fracas

Gua. Mata " coup de nerf de boeuf "/kik. lata "frapper " ; kik. Mata " être en colère, méchant "

Gua. karata " mêlée "/kik. Mata "lacérer la peau"

Gua. bok " affront, moquerie, rebuffade"/kik. mboko-mboko/mbookolo "querelle"

Gua. mako "cocu ; qui se mêle des affaires des autres "/kik. makozz

"amende payée au mari pour adultère "

Gua. pi "silence!/ être silencieux "/kik. pii " silencieux " ; kim. pi "silence

Gua. kou " coup "/kik. ku/kuda " heurter, frapper contre"

Gua. déba " discussion, polémique"/kik. deba «exhorter, persuader, convaincre "

Gua. banda "comportement bruyant, faire du tapage "/kik. Banda "comportement bruyant " ; umb. banda " faire du tapage, se battre"

Gua. goumé " se battre "/kim. nguma "adversaire, ennemi, rival " ; kik. puma "humeur irritable, violente"

Gua. toumbilé "ennuyer"/kik. tumbika "provoquer une querelle"

Gua. bada "couvert d' excrément "/kik. bada "excrément " ; kik. bada "oindre" Récréation

Gua. banza "fronde'/kik. bunza " arme, projectile " ; kik. banza "faire

claquer"

Gua. boutou "massue, jeu au cours duquel les joueurs se donnent des

coups de bâton "/kik. buutu " frapper contre"

Gua. koukyanm "jeu qui consiste à essayer de faire tomber un objet

tenu par un autre joueur "/kik. kunka "tomber, laisser tomber " ; kik. kuulw " coup, claquement de la main"

Musique/ danse

Gua. boula " tambour, battre la mesure"/kik. bula « frapper, marteler"

Gua. sanba "danse "/kik. samba "espèce de danse"

Gua. gonn "tambour "/kim. ngoma/ngoga/ngonge "tambour "

Divers

Gua. koyo "chéri"/kik. koyo-koyo "envie, désir, ardeur (dans le désir)"

Gua. manman/man 'mère. Maman, nom respectueux donné à une

femme âgée, madame "/kik. marna " mère, titre respectueux de la femme âgée " ; kim. marna " femme âgée, protectrice, bienfaisante "

Gua. tok "parler, comprendre"/kik. tokula " qui parle sans arrêt, qui

comprend"

Gua. bik "cacher'/kik. bikî/bika "habileté à découvrir ce qui a été caché"

Depuis la parution de la première édition de cette étude, mon attention a été attirée sur la présence d'items lexicaux d-origine africaine autre que bantu, en particulier éwé et mina, deux langues parlées en Afrique de l'Ouest, en particulier au Bénin, Togo et Ghana, tels que :

Gua. chwa "onomatopée indiquant le bmit de la mer" / éwé & mina waa « onomatopée indiquant le bmit que fait une grande quantité d'eau que

l'on verse sur le sable »

Gua. da "grand-mère" / éwé & mina da « grande sœur »

Gua. dawa "sortilège, sorcellerie" / éwé & mina adawa « folie

sortilège »                                                           '

Gua.flègèdè "faible, chétif, malingre" / éwé & mina flègèdè « amorphe, sans énergie »

Gua.fyèkè "maigrichon, fluet" / éwé & mmaflèkè-flèkè « sans épaisseur, qui peut être soufflé et emporté par le moindre vent »

Gua. fi/ou "onomatopée pour indiquer l'eau qui court sans heurt" / éwé & mina/yo « onomatopée qui indique le bruit de friture, le bruit que fait un aliment crû trempé dans de l'huile brûlante, le bruit à peine audible d'un ruisseau qui coule, d'une voiture de lux qui roule sur une voie bien entretenue ».

Gua. gwoka « tambour » / éwé goka « instmment de musique constitué d'une calebasse et de cordes attachées autour de la calebasse. »

Analyse

 L'on assume généralement que le lexique du Guadeloupéen est essentiellement d'origine française - à l'exception de quelques "survivances" africaines et karibs (et de quelques mots anglais égarés). Ces "survivances," nous dit-on, sont dues avant tout à I' absence d'un mot français adéquat pour nommer une réalité étrangère à la culture ou à l'environnement français. Si une telle explication peut paraître satisfaisante pour des mots tels que malanga, gonbo, ou bien encore dende, il faut cependant admettre qu'elle est totale ment incapable de rendre compte de la rétention de mots tels que bonda, koukoun, kal, akaba, doum, agoulou, pour ne citer que quelques mots parmi d'autres. De toute évidence, il existait, au moment de la formation de notre langue, un mot français signifiant "derrière," "vagin," "pénis," " mort," "problème, éléphantiasis," ou bien encore "vorace." Ces mots, si l'hypothèse mécaniste mentionnée plus haut était correcte, auraient dû être intégrés à notre langue, à l'exclusion de mots africains. Mais il n'en a rien été, ce qui prouve, une fois encore, que la situation linguistique et sociale était bien plus complexe qu'on ne veut 1' imaginer, et que l'émergence du Guadeloupéen (et des langues caraïbes dans leur ensemble) ne peut se laisser réduire à quelque schéma méca-niste et simpliste.

Nous préférons, pour notre part, suivre la voie ouverte par Mervyn Alleyne (1971, p. 176), lorsqu' il suggéra de distinguer entre une sphère lexicale "privée" et une sphère lexicale "publique." Selon Alleyne, les mots appartenant à la sphère privée sont davantage susceptibles d'être d'origine africaine que ceux de la sphère publique. Holm (1988, p.82) précise encore que les mots "privés" appartiendraient, grosso modo, aux champs sexuel et religieux, et incluraient également des mots sans équivalent européen. Je voudrais, en ce qui me concerne, élargir cette définition des mots "privés," afin d'y inclure non seulement des mots liés à la sexualité et à la spirfrualité, mais aussi des mots "émotionnellement marqués." Ces mots semblent bien véhiculer "un surplus de sens," pour rendre la définition que donne Bourdieu (1982, p.83) de la langue maternelle. A cet égard, le lexique du Guadeloupéen nous offre un parfait exemple de la ténacité des langues africaines. En fait, ces dernières, que nous en soyons conscients ou non, continuent à jouer un rôle très important dans notre existence en nous permettant de nommer les aspects les plus intimes de notre réalité. 

Rappelons tout particulièrement le nombre important d'onomatopées, de mots d'origine africaine renvoyant à une situation de violence, physique ou mentale, ou bien encore, au domaine sexuel.

Fonds lexical français

Dans la mesure où j'ai traité de cette composante de façon détaillée ailleurs (Cérol 1991), je me contenterai de résumer brièvement les faits. Les mots repris du français ont été généralement soumis à un certain nombre de modifications formelles, afin de les adapter au système phonologique du guadeloupéen, ou bien à la suite d'une réanalyse morphologique (par exemple, substitution de phonèmes : les voyelles antérieures françaises, /y/, /oe/, et 101, sont respectivement remplacées par /i/, /e/, et /£/ ; aphérèse : fr. apporter > pôté; apocope : fr. fort > gua. fô ; prothèse : fr. la porte > gua. lapôt ; nasalisation régressive : fr. la mer > gua. lanmè ; fr. amour > gua. lanmou, etc.).

Les changements subis par les mots d'origine française peuvent également être de nature sémantique, le plus souvent par suite d'une extension sens (quelques exemples entre mille autres, montre "montrer; enseigner; faire voir," jalou " envieux; amoureux fou ;" jès " geste," etc.).

Mots créés par la langue elle-même

 La Composition

 La composition, d'une façon générale, est le procédé générateur de mots nouveaux le plus productif en Guadeloupéen. Dans Une Introduction au créole Quadeloupéen, la composition verbale avait retenu l'essentiel de mon attention. Je me pencherai ici, afin de poursuivre et compléter mon étude, sur un autre type de composition, à savoir, la composition nominale par figement d'énoncé, ou par mise en relation de deux lexèmes (ou plus) dont un est nominal.

i. Le figement de "complexes énonciatifs " (Hagège 1985, p. 60) est très fréquent en Guadeloupéen : palaviré "paire de giffles "/ pépa " chaussures bon marché "/ dépandémwa "vêtements de remplacement » biyépalapenn " renvoi», sanpalé "muet," etc.

ii. Les composés formés de deux lexèmes peuvent fonctionner comme métaphores (au sens large), par exemple, lorsque l'un des membres du composé est employé métaphoriquement: blanc gouyav "blanc pauvre " (où gouyau est employé métonymiquement : "blanc tellement pauvre qu' il en est réduit à manger des goyaves "), ou bien encore, lorsque le composé tout entier est employé comme métaphore : kaka kodenn « tâches de rousseur », littéralement "crottes de dindon."

- Nom + Nom

La séquence (l'ordre) Déterminé (A) - Déterminant (B) est la norme.

L'association des deux noms se fait le plus souvent par juxtaposition, mais elle peut aussi être médiatisée par le relateur a, pour lequel une origine banni a été suggérée plus haut. L'occurrence ou la non-occurrence de a est dictée par la nature du lien sémantique qui unit les deux noms.

D' une façon générale, seront réalisés sans médiation les composés où

1) B fournit son essence à A :

ponch marakudja "ponch à la maracudja," dio sous "eau de source ", pyé gouyav " goyavier ", farin kàko " farine de coco," bâton mannyôk "tige de manioc ", tas kafé " tasse de café;" ; 

2) B indique la direction de A :

chimen Granfon " la route des Grands Fonds;"

3) B indique F origine de A :

moun Iakanpagn "campagnard ", tifi Bastè "jeune Basse-Terrienne," manman dio "sirène," ziyanm Senvensen "igname de Saint-Vincent; " 

4) B indique 1' activité de A (qui est 1' acteur) : machann chabon " marchande de charbon," met lékàl " maître d'école;" 

5) B est semblable à A : kok pay "coq jaune et blanc (couleur de paille)," pen kannot "pain (ayant la forme d'un) canot;" zyanm pat a chival " igname (ayant la forme d'une) patte de cheval". Ce type de composés, fondés sur une relation de ressemblance, a été particulièrement productif pour la création de noms de plantes, ainsi que la liste suivante de noms de langues l'atteste : mango manmen, mango bèf, mango zé kodenn, mango térébantin, mango kilo, mango ponm, mango tètfann, mango koko bourik, mango grenn, mango kaka poul, mango wonm, mango savann, etc.

Une première analyse/ fondée sur les noms de mangues/ de bananes et d'ignames, semble indiquer que la forme est le critère d'identification privilégié, suivi de celui du goût et de la saveur.

A l'inverse, seront médiatisés au moyen du relateur a les composés ou

1) B indique la finalité de A : tas a kafe " tasse pour le café;" rad a dimanch ft vêtements du dimanche " ; le a levé "heure du lever; " le a pâti "heure de partir;" zèb afanm " plante pour faire venir les règles;" tabak ajako " tabac sur lequel se posent les jacots;" 

2) A appartient à B : kal a " paupière;" têt a kal " gland;" plat a pye " plante des pieds;" sigarèt a kochon "banane;"^/ a jounou "rotule du genou;" fontenn a têt "fontanelle;"

3) B appartient à A : bèt afé "luciole;" mas a kon masque à cornes; " fanm a chalè " femme extravagante;" 

4) B identifie l'énergie qui alimente A : bato a vapè "bateau à vapeur;" chai a gaz lambeau à gaz."

- Nom + Adjectif (ou Adjectif + Nom)

 L'ordre peut en effet être Déterminé - Déterminant ou Déterminant - Déterminé. Les attributs à partir desquels le réfèrent est désigné varient, mais ils sont le plus souvent d'ordre physique : gran moun "adulte;" ti monn "un enfant;" gran dio " le large;" kyé wouj " écrevisse à queue rouge;" gran gyèl "poisson à grandes mâchoires» ; mango won "mangue ronde» ; mango wàz "mangue rosé;" vyé kà " personne âgée;" gran bwa "cœur de la forêt."

- Verbe + Nom

 Quelques exemples : pijé zyé " sieste;" krazé ko "grande fatigue;" toufé yen-yen " bal populaire."

Adverbe + Nom : dèyè do "chute de reins;" dèyè têt " nuque;" anba vant " avorton;" anbafèy "sournois."

Il convient également de signaler deux cas particuliers, afin de conclure cette analyse de la composition nominale en guadeloupéen, à savoir, les composés tautologiques (tels que makolélé "mauvaise langue" < mako " indiscret " + lélé " mauvaise langue;" dio pisa "urine;" ansent gwovant "enceinte;" èspès Mité " toutes sortes de" et les composés hybrides (tels que sen maka " monde des morts " < fr. saint + kik. maka ; pwa boukousou " variété de pois " < fr. pois + kim. bukusu ; koko matrak < kik. kàko " grosse" + fr. matraque.

La dérivation

 Le cas le plus fréquent est la dérivation à marque zéro d'un élément d'une partie du discours à une autre. Ce type de dérivation, extrêmement productif, a été facilité par 1' invariabilité des signes du guadeloupéen, trait fondamental de l'économie de la langue. Cette invariabilité a permis d'accroître considérablement le lexique de langue aux moindres frais mémoriels. Le statut (nominal, verbal ou autre) d'une unité particulière sera déterminé par sa fonction dans l'énoncé. Ainsi en est-il, par exemple, de paie " parler; parole;" didiko "petit-déjeuner; prendre le petit-déjeuner;" boufi " fatiguer ; fatigué; " demi "dormir ; sommeil."

 A ce type de dérivation, il convient d' ajouter la dérivation affixale, qui n'a pas été particulièrement productive. Il s'agit essentiellement d' affixes repris au français et appliqués à des bases guadeloupéennes pour former de nouveaux lexèmes, inconnus du français. Citons, à être d'exemples : kàk " pénis " + -é > koké " faire F amour;" makrèl " femme indiscrète" + -é > makrélé " se mêler des affaires des autres;" koré "coincer" + -aj > koraj "arrêt;" pwofité " abuser " + -asyon > pwofitasyon " abus, tyrannie;" modi " maudit ; salaud" + -syon > modisyon "malédiction " ; dé- + mayé " se marier» > démayé "divorcer."

L'extension de sens

 L'extension de sens, comme procédé d'expansion lexicale, a été fréquemment utilisée par le guadeloupéen. L'extension en question résulte d'une métaphore.

 Relèvent de cette catégorie les exemples suivants :

gra " gras ; riche " < gras ; zanba " éléphant ; lourd ; pesant " < nzamba "éléphant;" kaka chyen " crotte de chien ; insignifiant" < caca de chien ; kontwa "comptoir ; pubis " < comptoir ; krazé " écraser ; faire 1' amour" < écraser ; zouti " outil ; pénis " < outil ; koupé " couper, castrer, opérer" < couper; koulé " couler; avorter " < couler.

Notons encore que la source de certaines de ces extensions de sens est, en fait, un calque d'une langue africaine :

fr. boudin " gua. bouden " intestins ; ventre" < kim. miria " intestine •

ventre ;"

fr. senne " gua. senne " pêcher à la senne ; jeter un charme" < kim. Uluela pécher a la senne ; jeter un charme » ;

fr. parler " paie " parler ; flirter " < kik. riaka « parler ; flirter ".

Que le développement de la langue guadeloupéenne ne puisses expliquer en termes simplistes (et racistes) de "simplification" ou d’imitation" de la langue française, ainsi que cela a été suggéré par certains, ou que 1’on ne puisse pas non plus faire abstraction des langues africaines afin d’en expliquer certains aspects fondamentaux devrait apparaître clairement au lecteur, l'on espère. Non seulement la culture et les langues africaines ne se sont-elles pas évanouies sur les rives de la Guadeloupe ou de l'Afrique elle-même, mais celles-ci ont continué à marquer notre existence. De manière peut-être altérée, étant donné les conditions de notre existence, mais néanmoins parfaitement reconnaissable. Et il en était jadis ainsi qu'il en est aujourd'hui. Car quelle différence y a-t-il vraiment entre la description de Dugoujon (1845, p.75), citée plus haut, et les propos du Père Céleste 1983, p 1956): "Et tout ce que les esclaves avaient comme croyances profondes'au niveau de leurs médias - arbres sacrés, rôle du sorcier, etc., ils l'ont vécu en se servant du prêtre catholique, de ses sacrements et des saints réduits à un pouvoir magique. Ils se sont servis de l'ensemble de l'expression de la foi chrétienne pour pouvoir vivre leur foi à eux ; et l'on peut dire, sans se tromper qu ainsi cette Eglise de Guadeloupe a existé. Jusqu'à nos jours, avec une foi qui nest pas chrétienne dans l'ensemble." Une foi qui n'est pas chrétienne mais bien africaine, aux dires mêmes de Chérubin Céleste : "Dieu est d- abord (pour les Guadeloupéens) celui qui protège du Mal, que ce mal soit la maladie un échec affectif ou l'insuccès à un examen ou un accident de voiture..." (1983' P.1958) ; " Ils attendent aussi du prêtre qu'il chasse les esprits mauvais qu'il écarte les forces néfastes. Ils attendent donc du prêtre des actes magiques Même lacté le plus engagé, en définitive, de la religion chrétienne, Eucharistie, devient à leurs yeux un acte magique pour obtenir une grâce " (1983, p.1956). Et de conclure: " Ce sont là des éléments de la culture des Africains que nous sommes toujours. C'est en tout cas celle de la majorité des gens : si sur 300 personnes qui viennent à l'Eglise, il n'y en a pas au moins 200 qui vont chez "le Gaded Zafè" je ne m'appelle plus Céleste ! C'est une croyance très profonde, mais encore une fois une croyance qui ne correspond pas à la foi chrétienne " (1983, p. 1958).

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