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lundi, 29 février 2016 20:26

Ecole d'Ataye : Un rêve, une destinée

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Narmer Assefa est un enseignant kamit d'origine éthiopienne vivant actuellement en France. Il est le promoteur d'un projet de construction d'école afrocentrique dans son pays d'origine (village d'Ataye).*
Ce projet qui a été initié en 2012, nécessitait au départ un financement de 17000 euros.
La volonté affichée des promoteurs de ce projet, porté à bout de bras par Narmer Assefa est, comme on peut s'en douter, de permettre la diffusion du paradigme kamit ou afrocentrique au sein d'une école, un bâtiment ayant la capacité de recevoir 300 élèves. Ceux-ci seront choisis dans une classe d'âge allant de 9 ans à 14 ans.
Comme le dit le Sesh Molefi Kete Asante, qui a beaucoup voyagé en Afrique : "J'ai vu beaucoup d'universités en Afrique, mais je n'ai vu aucune université africaine, uniquement des universités européennes." Hélas, ce constat vaut aussi pour les écoles et on voit à quel point le projet du frère Narmer est révolutionnaire et novateur.
Propos recueillis par Iterou Ogowè
I.O. : Narmer Assefa, où en est votre projet d'école kamite d'Ataye ? Avez-vous pu réunir tous les financements qui étaient requis au départ ?
Narmer Assefa : Nous avons eu un long parcours dans cette aventure d'Ecole Kamite d'Atayé. Nous avons fait depuis 2012 une bonne progression dans les travaux. Avec le frère Henok qui est le responsable locale à Atayé, nous nous battons à tous les niveaux pour garder le projet toujours en vie.
Nous avons régulièrement quelques soucis avec les autorités locales. Car ces dernières souhaitent que les travaux avancent plus vite et que la population puissent rapidement bénéficier du service que nous allons proposer.
Nous subissons donc des pressions des agents de la mairie d'Atayé pour cause de retard des travaux. Nul doute, que notre principale difficulté a toujours été notre capacité à réunir les fonds à temps. De ce point de vue, nous avons, on peut le dire, des difficultés pour trouver l'argent nécessaire pour faire avancer notre projet plus rapidement.
Malgré tous les obstacles, actuellement, nous sommes en train de finaliser notre projet d'Ecole Kamite d'Ethiopie. Nous avons accompli avec succès et non sans quelques difficultés, les travaux les plus couteux : d'abord, nous avons du dès le départ trouver 20% du montant global estimé à 17 000€, soit (3500€).
Ensuite, nous avons du financer les travaux des fondations, sans compter les frais d'achat du matériel (barre d'acier, ciments, agrégats, tolles, location des machines, honorer les ouvriers, l'architecte ainsi que l'ingénieur.
 
 
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Enfin, nous avons du financer les travaux des colonnes qui ont nécessité l'achat de ces mêmes matériaux. A chaque fois et à chaque étape c'est vraiement très érpouvant de devoir se battre pour réunir les fonds. Au moment où je vous parle nous sommes au stade de l'installation des dalles. Il nous faut trouver du financement pour la fin des travaux. Il nous faudrait collecter 8000 € mais si déjà on réussi à rassembler 3000 €, cela nous permettrait de souffler un peu et de moins subir cette pression des politiciens qui pèse sur nous.
Vous êtes pas sans le savoir, nous menons ici une démarche entièrement endogène. Autrement dit nous ne faisons pas appel à des organismes humanitaires spécialisés dans le développement en Afrique. Car après réflexion, nous considérons les aides et les actions de ces associations comme de simples façades. En effet, derrière leurs bonnes intentions affichées, elles masquent en réalité, un néocolonialisme qui n'avoue pas son nom.
“Nous devons donc relever un défi pour réussir notre rêve, celui de voir advenir notre Ecole Kamite, l'une des premières sur le continent.”
De plus, notre démarche et le paradigme dans lequel nous nous situons vont à l'encontre de ces associations dites de coopération et de développement. Nous avons donc du renoncer à faire appel à elles. Quand bien même nous voudrions les solliciter, très vite nous serions confrontés à une confrontation de deux paradigmes, l'un occidental et l'autre kamit (afrocentrique).
C'est pourquoi nous rencontrons une double difficulté : en premier lieu, celle de ne pas pouvoir solliciter ces organismes qui disposent pourtant de moyens conséquents, et qui sont sensés aussi promouvoir le développement réelle des pays Africains. Et une seconde difficulté, celle de notre communauté appauvrie et culturellement aliénée ou décentrée, qui ne voit toujours pas l'intérêt collectif qu'il y a à oeuvrer dans le sens d'un développement éducatif endogène.
Nous devons donc relever un défi pour réussir notre rêve, celui de voir advenir notre Ecole Kamite, l'une des premières sur le continent. Cela sera une satisfaction collective d'avoir pu mener à terme avec succès le projet d'Ecole Kamite. Mais nous ne sommes pas au bout de notre peine.
Il semble que beaucoup de nos compatriotes soient comme on dit, "en mode de survie" en Occident. Par manque d'éducation sûrement, sur les questions essentielles de la vie économique. En réalité qu'est-ce qui fait qu'un groupe social dominé (en ce qui nous concerne les Noirs en Occident) peut devenir plus fort et plus soudé autour de projets éducatifs fédérateurs, ceci malgré le traumatisme des traites nègrières que notre population a subi durant ces derniers siècles ?
Il va sans dire en tant qu'instigateur du projet, j'ai du mettre pas mal de mes ressources personnelles en jeu, de même que le frère Henok consacre tout son énergie pour ce projet d'Ecole Kamite d'Atayé. Nous remercions, au passage tous nos frères et soeurs qui nous accompagnent dans ce projet, sans eux le projet se serait sûrement arrêté.
I.O : Auparavant, il y avait un site internet consacré à ce projet, site que nous avons évidemment, parcouru. Vous vous basez sur la méthode exhaustive, chère à Cheikh Anta Diop, dont on a fêté récemment, le trentième anniversaire du retour vers les ancêtres. Mais, est-ce que le programme n'est pas un peu trop chargé pour des enfants de cet âge?
N. A : Je vous assure que notre site internet existe toujours. Il est pour l'heure en maintenance mais il sera de nouveau accessible. Anta Diop et ses disciples de par leur génie africain, nous ont éclairés. Ils ont allumé la flamme de l'Amour de Kemet en nous. La pensée du professeur Anta Diop nous a libéré de l'incarcération mentale dans lequel nous nous trouvions.
Anta Diop nous a permis de prendre conscience de notre régression culturelle et identitaire. Nous pensons que l'enseignement de la Kamitologie est en ce sens la clé de voûte qui permet à l'homme Africain d'analyser les problèmes de son environnement, d'élaborer les discours, les pratiques et les concepts. Il s'agit aussi de renouer avec notre passé pour mieux agir au présent.
Vous savez les enfants ont la capacité de comprendre énormément de choses, à condition qu'il y ait une pédagogie progressive et un discours adapté à leur âge. Justement nous proposons des contenus d'enseignement progressifs dans le temps et adaptés, afin de mieux assimiler le socle commun africain indispensable pour tout jeune Kamit. Etudier les humanités classiques africaines est sans aucun doute un moyen d'épanouissement dans la formation du jeune Africain.
Les jeunes Africains ou Afrodescendants reçoivent aujourd'hui un enseignement dont le programmme est calqué sur le modèle occidental, eurocentrique. L'histoire et les auteurs qui sont étudiés éloignent les jeunes de leur culture endogène si bien qu'un jeune d'aujourd'hui se retrouverait en difficulté pour citer des philosophes de Kemet antique par exemple. Malheureusement, l'enseignement des humanités classiques de Kemet antique (civilisation égypto-nubienne) est quasiment inexistant dans les écoles et université à Kemet (en Afrique).
Nous sommes encore pour le moins qu'on puisse dire, sous la domination occidentale. Nous n'avons pas le pouvoir politique encore moins le pouvoir militaire et monétaire. Ces instruments de souveraineté nationale ne peuvent se cultiver en dehors d'un enseignement afrocentrique pour la jeunesse d'aujourd'hui.
 
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La méthode exhaustive du Wasiré Anta Diop que vous évoquez, sera partie intégrante de notre enseignement. En effet, cette approche globale de la science, une science de la complexité fait totalement partie de la Kamitologie (Kamisia). La Kamitologie est une discipline scientifique qui repose sur un paradigme kamit, c'est-à-dire l'histoire des Kamits vu et dit par eux et pour les Kamits en dehors de toutes influences étrangères. Notre programme est conçu de manière à pouvoir intégrer les connaissances incontournables de nos humanités classiques africaines.
I.O : Le choix d'un environnement culturel imprégné de culture chrétienne et musulmane, n'est-il pas un obstacle pour la concrétisation d'un tel projet ? Parce qu'on imagine l'effroi des familles quand elles verront que leurs enfants étudieront l'histoire pré-chrétienne et pré-islamique de l'humanité, une période qu'elles considèrent comme "obscure", parce que marquée par ce qu'elles appellent "le paganisme" ?
N.A : L'environnement culturel actuel à Atayé ne nous est pas à priori favorable. La plupart des gens sont chrétiens orthodoxes, d'autres sont musulmans et protestants. Cela peut présenter en effet un obstacle majeur.
Toutefois, l'enseignement du paradigme Kamit que l'on propose, a la spécificité de mettre en relief une lecture de l'histoire du point de vue kamitologique (afrocentrique). Nous devons exceller à la fois sur la manière dont nous allons faire passer le message, mais aussi sur les supports que nous allons utiliser, sur les activités que nous allons mener, pour développer peu à peu la conscience historique à travers nos humanités classiques africaines.
C'est de cette manière que nous pensons renouer avec nos antiquités et nous réconcilier avec nous-mêmes. Car il s'agit bien de développer la connaissance de soi, à travers l'étude historique de notre passé afin de mieux envisager notre futur. Comme le souligne l'honorable Marcus Garvey, "un homme sans histoire, c'est comme un arbre sans racines" (Philosophie et Opinions).
 
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En terme de résultats attendus, nous visons à améliorer l'enjeu de l'estime de soi, la revalorisation de l'homme africain à travers l'enseignement de nos humanités classiques, une meilleure analyse et compréhension des problématiques de nos jours à travers un programme d'enseignement progressif et adapté.
De plus, nous voyons qu'il y a de plus en plus de religions étrangères qui viennent s'implanter à Atayé, mais aussi partout ailleurs en Afrique pour véhiculer leur message sans toutefois être inquiétées. Nous devons maîtriser la peur qui peut nous paralyser dans notre démarche. Pour cela nous avons bien étudié le terrain. Même si le thème de la religion reste un sujet sensible, il n'empêche que nous devons aborder le sujet d'une manière progressive, intelligente et ludique pour faire face à l'obstacle de l'environnement culturel imprégné par les religions abrahamiques.
“Nous allons donc nous situer sur le versant rationnel et scientifique.”
Je dois vous dire aussi que le contexte culturel d'aliénation, n'est pas ce qui nous freine le plus. J'ai l'intime conviction que personne ne nous empêchera de parler de notre version de l'histoire sous un angle afrocentrique qui plus est, chez nous en Afrique. Par ailleurs, nous faisons le pari qu'il va sans dire, que l'enseignement que nous allons véhiculer, rencontrera l'adhésion des jeunes, pourvu que cela soit mené avec pédagogie. Car il s'agit bien de leur histoire, vu sous un autre angle, celui du paradigme kamit.
Nous devons travailler avec les parents d'élèves. Des réunions seront organisées pour expliquer la démarche scientifique de la kamitologie. Ainsi nous mettrons à distance tout argument concernant la foi et les religions. Ces deux domaines seront abordés au deuxième cycle. Nous ne commencerons pas d'emblée sans un travail au préalable sur les questions religieuse, car cela reste un sujet sensible.
Nous allons donc nous situer sur le versant rationnel et scientifique. Nous ferons des campagnes de sensibilisation au plus près des familles. De plus, étant originaire de la ville d'Atayé, mon village d'enfance, nous pensons que cela est de nature à faciliter les échanges sur notre démarche.
Nous devons faire la démonstration de notre capacité à prendre en charge les enfants, à la fois par une attractivité des savoirs mais aussi par le savoir-faire pédagogique.
I.O : Frère Narmer, comment avez-vous découvert le kémitisme et l'afrocentricité ? Pouvez-vous retracer votre parcours culturel et spirituel, en tant qu'Ethiopien ayant vécu en Afrique et en Occident ?
N. A : Je suis né et j'ai grandi en Ethiopie jusqu'à l'âge de 10 ans. Comme beaucoup d'enfants j'ai baigné dans la culture éthiopienne, jusqu'à mon arrivé en France en 1991 dans le Puy-de-Dôme. Depuis lors, je suis tombé dans ce qu'on appelle aujourd'hui, le mimétisme culturel de l'Occident. Ma conscience africaine était certes mise de côté, mais malgré tout elle somnolais en moi.
“Je souhaitais intérieurement combler le vide culturel de mon identité africaine.”
J'ai cherché mon intégration pour mieux être accepté en France. Mais le racisme institutionnel et le racisme ordinaire m'avaient tant blessé que je ne comprenais pourquoi il y avait autant de cruauté et d'hypocrisie chez les Leucodermes. Je n'avais pas de mots pour l'expliquer. Je n'étais pas armé mentalement. Je n'étais pas équipé d'un paradigme culturel afrocentrique qui aurait pu me protéger à ce moment-là.
Mon parcours dans le kamitisme s'est fait un peu par hasard. Je me rappelle... c'était en 2012. Je venais de finir mes études universitaires. Je souhaitais intérieurement combler le vide culturel de mon identité africaine. J'avais conscience que je connaissais beaucoup de choses sur l'histoire de l'Europe et du monde occidental. En revanche, je n'étais pas à l'aise avec mes racines culturelles africaines. Je connaissais très peu de choses des humanités classiques africaines comme beaucoup d'Africains et d'Afrodescendants d'ailleurs qui avaient fait leur scolarité en Europe. Cependant une question trouvait toujours un écho en moi et de manière permanente : "qu'est-ce que tu connais de la culture Africaine ?".
 
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J'avais déjà conscience que pour m'accomplir personnellement, il fallait que je comble ce vide intellectuel et identitaire. Après tant d'efforts pour décrocher mon diplôme universitaire, il fallait que je retourne vers mes racines culturelles. C'est ainsi que j'ai commencé à faire mes recherches sur internet et les réseaux sociaux et que je suis devenu progressivement un Kemit, qui a conscience de la valeur de l'héritage culturel ancestral.
Par la suite, je suis entré en contact avec les responsables d'Afrocentricity International Paris (dont le frère Ouasiré). J'ai participé aux nombreuses manifestations qui ont eu lieu à Paris ; je faisais même le trajet depuis Lyon. Je voulais être parmi ceux qui sont sur la voie du retour vers notre paradigme kamit. L'an passé, j'ai habité en Ile-de-France. Ce fut pour moi l'occasion d'approfondir et d'élargir mon réseau en me rendant régulièrement à la librairie Tamery.
Dans mon parcours intellectuel, deux livres ont été particulièrement marquants pour moi. Le premier fut celui de Jean Philippe Omotunde, (Les racines Africaines de la civilisation européenne), lequel a été vraiment un élément déclencheur pour moi. Par la suite, l'ouvrage de la per aât Ama Mazama, L'Impératif Afrocentrique a été également déterminant dans le processus de ma prise de conscience et d'ancrage culturel kamit.
I.O : Le Sesh Wonkiamma vous a beaucoup aidé pour ce projet, en mettant à votre disposition son savoir en matière de kamitologie. En quoi cette coopération a t'elle était déterminante ?
N.A : En réalité, nous avons commencé le projet Ecole Kamite avec le frère Henok avant même que je débute la formation en Kamitologie. Depuis l'an passé je suis la formation en Kamisia (kamitologie) proposée par l'association Meryu de Genève. J'ai validé avec succès le premier niveau en Kamitologie (niveau Heredu). Actuellement, je poursuis ma formation au niveau Seba (niveau 2 en Kamisia).
C'est une formation qui s'inscrit sur quatre années, le temps nécessaire pour se réapproprier la culture kamite. Nous avons quatre leçons par mois et chaque thème se conclue par une dissertation à produire. C'est vraiment une expérience exceptionnelle qui m'apporte beaucoup et qui me permet d'approfondir la réappropriation de notre patrimoine culturel.
La rigueur, la méthode et la précision font parti du décor. La formation en Kamisia, menée par le Sesh est de nature à nous permettre de mieux concevoir le programme d'enseignement de notre Ecole Kamite et de développer une stratégie pédagogique pour mieux transmettre et produire de nouvelles connaissances.
Le rôle du Sesh Wonkiamma a été donc déterminant à plusieurs niveau : d'abord, il est très fort dans la structuration, l'emboitement du phénomène de causalité historiques des connaissances en kamitologie. Puis, il nous fait vivre son amour pour Kemet, par la pertinence de ses cours. Il nous éclaire de plus en plus sur le chemin que nous devons emprunter pour réussir le Sema Taou, l'union des Kamits sur la base du modèle du paradigme kamit et réussir la renaissance africaine (l'Ouhem Messout).
Pour soutenir notre projet Ecole kamite, vous pouvez aller sur notre site internet : www.ecoles-kamites.org.

 

 
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