Le fait est, cependant, que non seulement l’école occupe le temps des enfants (après tout, ils y passent de longues heures chaque jour, enfermés dans un local dont ils n’ont pas le droit de sortir sans permission), mais elle les occupe aussi mentalement, et cet aspect est loin d’être aussi bénin et positif que les parents se l’imaginent. La situation est encore plus grave dans notre cas puisque cette occupation mentale, pour nous Africains, se traduit par l’inculcation d’une haine de nous-mêmes, d’une ignorance de nous-mêmes, en gros, d’un sérieux complexe d’infériorité et d’une sérieuse aliénation mentale, ce que les Afrocentristes appellent la “dislocation,” et que je décris dans un article sur ce site. Dans son excellent essai sur le contenu des manuels d’histoire en usage en Côte d’Ivoire, Shenuti Traoré montre clairement par exemple que ces manuels reposent sur des choix hautement politiques dont le but est de diminuer les contributions de l’Afrique à tout prix aux yeux des jeunes Ivoiriens. Ce qui est bien sûr troublant c’est que de tels livres puissent être toujours utilisés en Côte d’Ivoire, un pays soi-disant indépendant depuis 1960! Encore plus préoccupant est le fait que le cas de la Côte d’Ivoire, loin d’être unique, reflète une situation générale contre laquelle ni les enseignants, ni les parents, et encore moins les enfants ne s’insurgent! En gros, la toxicité de l’enseignement que nos enfants reҫoivent sous couvert d’éducation n’est généralement pas reconnue, et le danger que cela représente n’est pas combattu.
Je m’entretenais il n’y a pas si longtemps en Guadeloupe avec une jeune fille qui venait de passer son bac, et elle me disait qu’elle allait partir étudier en France, et qu’elle savait qu’elle y ferait l’expérience du racisme. Ceci, continua-t-elle, serait une nouvelle expérience car elle n’avait jamais connu de racisme en Guadeloupe. Cette déclaration me surprit profondément puisque la Guadeloupe est un pays colonisé de A à Z, et contrôlé par les blancs. Je lui demandai donc si, à son avis, le fait de n’avoir rien appris de sa terre ancestrale, l’Afrique, et de ses ancêtres, en 12 ans de scolarité n’était pas du racisme? Si le fait de n’avoir jamais appris que l’Afrique était le berceau de l’humanité et de la civilisation ne lui semblait pas problématique? Je lui demandai pourquoi elle ne pouvait même pas citer le nom d’un seul roi ou d’une seule reine d’Afrique –des personnes auxquelles elle ressemble fortement, alors qu’elle pouvait citer une bonne dizaine de figures royales d’Europe –ceux-là et celles-là même qui avaient souvent ordonné la déportation et la mise en esclavage des ses ancêtres? La jeune fille en question, étant suffisamment intelligente et ouverte d’esprit, admit qu’il y avait effectivement un problème avec le contenu de l’enseignement qu’elle avait reҫu. Mais cela, j’en suis sûre, ne l’empêcha pas de bien dormir ce soir-là! La plupart d’entre nous préférons rester dans l’erreur et l’obscurité plutôt que de remettre en question un système vicieux et dévastateur.
Le fait demeure cependant que l’école, telle que nos enfants en font l’expérience, demeure souvent un bastion de la suprématie raciale blanche. Cela se donne à voir en particulier dans les domaines suivants:
L’orientation eurocentrique du curriculum qui nous rend invisibles à nous-mêmes, alors que nous sommes forcés de nous préoccuper de ce qui s’est fait et se fait en Europe; l’attitude souvent negative des enseignants vis à vis de la culture des enfants noirs; et dans certaines sociétés occidentales, comme la société américaine par exemple, le placement disproportionné des enfants noirs dans les classes pour enfants ayant une déficience cognitive, et le nombre exhorbitant d’enfants noirs subissant des punitions et des expulsions, qui les conduisent souvent directement au tribunal, puis en prison.
Marcus Garvey expliquait il y a presqu’un siècle déjà que chaque peuple doit construire ses propres institutions, afin de se construire, de se fortifier. L’astuce blanche a été de nous faire vouloir participer aux institutions scolaires occidentales, au lieu de construire nos propres systèmes éducatifs, qui reflèteraient qui nous sommes et qui nous voulons être. Tant que nous continuerons à leur livrer nos enfants, nous ne pouvons vraiment nous attendre à aucun changement de notre condition, l’expérience nous le prouve.